La garantie des soins médicaux de base en danger
Le système de santé sur un siège éjectable
Une interview avec la Dre méd. Heidi Zinggeler Fuhrer, Vice-présidente de mfe, Co-responsable Commission Tarif et pédiatre à Coire
Dre Zinggeler Fuhrer, vous êtes pédiatre et vous facturez les prestations que vous fournissez au moyen du tarif Tarmed. Dans quelle mesure n’est-il plus d’actualité ?
HZ: Dans le cabinet d’un médecin de famille et de l’enfance, seule une infime partie des positions tarifaires disponibles peut être utilisée. Il est important pour nous de pouvoir facturer correctement les prestations fournies, de manière à ce que tant le patient que l’assureur puissent comprendre le décompte. Le tarif doit représenter notre travail, pas le gêner. Le Tarmed n’est plus d’actualité. Il n’indique par exemple aucune position pour des prestations que nous fournissons souvent, comme les examens de l’audition, de la vision, les examens rapides d’enfants malades, etc.
On parle régulièrement de limitations des prestations.
HZ: C’est à juste titre qu’il y a certaines limitations. Mais la limitation de la durée de consultation à 20 minutes, par exemple, est incompréhensible. En effet, dans la vie courante, le problème principal du patient n’est souvent révélé au cours de l’entretien qu’après les 15 premières minutes. Pour la plupart des questions, cette limite de temps peut suffire. Mais elle est clairement trop serrée pour les questions complexes. La limitation empêche ici une bonne prise en charge du patient, avec le risque qu’à la fin, les coûts soient plus élevés que si on avait pris le temps nécessaire dès le début. Avec les assureurs curafutura et CTM, nous avons trouvé, grâce à la révision du tarif Tardoc, des moyens de pouvoir assurer un traitement adéquat également dans des situations complexes.
Le Conseil fédéral exige une simplification du tarif.
HZ: L’OFSP et les assureurs veulent toutefois des informations les plus détaillées possible afin de tout pouvoir contrôler précisément. Ces deux aspects sont incompatibles. Il faut faire un choix. Avec le Tardoc, le nombre de positions tarifaires a diminué presque de moitié par rapport au Tarmed. C’est un argument de plus en faveur du Tardoc.
On sait bien qu’il y a d’une part des prestations dont le tarif est trop élevé, et d’autre part des prestations sous-évaluées.
HZ: Ce sont précisément de telles erreurs dans le tarif, dont certaines étaient présentes dès le début et d’autres sont dues à l’évolution technique, qui sont corrigées par le Tardoc. Dans les 30 ans qui ont suivi les calculs pour le Tarmed, de nombreuses positions sont devenues meilleur marché grâce au progrès technique. D’autres charges ont en revanche augmenté, par exemple les loyers des cabinets médicaux ou les salaires des employés.
Le mandat du Conseil fédéral était de corriger cet état de fait. Et, en dépit de la divergence de leurs intérêts, les partenaires tarifaires y sont donc parvenus, après de longues et difficiles négociations. C’est précisément pour cela que le rejet par le Conseil fédéral est une claque pour les partenaires de coopération.
En tant que membre du comité de Médecins de famille et de l’enfance Suisse et co-responsable de la commission tarifaire, vous vous êtes fortement impliquée dans la révision tarifaire, et ce pendant des années.
HZ: J’ai, avec les autres intervenants, investi énormément d’énergie et de temps dans le projet Tardoc. D’ailleurs, il a aussi coûté énormément d’argent à nos associations professionnelles et aux partenaires représentant les assureurs. D’autres ont refusé dès le début de coopérer, en particulier santésuisse. Il est plus qu’irritant que le Conseil fédéral leur déroule, à eux, le tapis rouge. Cela pèse sur ma volonté de poursuivre le travail.
Notamment parce que le Conseil fédéral a changé plusieurs fois les règles du jeu, à l’improviste, en cours de processus, nous pressant de continuer à travailler, et que maintenant, il fait entrer dans la danse des partenaires tarifaires ceux qui ont refusé de collaborer. Il est tout à fait évident qu’il compte sur un échec de notre part. Il aurait alors le feu vert pour s’emparer du Tardoc, enterrer l’autonomie tarifaire et en plus nous faire passer pour les fautifs. Mais ce n’est pas jouer franc-jeu.
Le Conseil fédéral mise sur les forfaits.
HZ: Nous savons depuis longtemps quand les forfaits peuvent fonctionner et quand ils ne fonctionnent pas. S’agissant de la médecine de famille et de l’enfance, ils ne fonctionnent pas. Nous sommes d’accord avec les assureurs sur ce point. Les questions au cabinet médical du généraliste ou du pédiatre et les besoins des patients sont bien trop diverses. Si les partenaires tarifaires peuvent se mettre d’accord sur des forfaits, il n’y a rien à dire. Mais que le débat sur les forfaits, qui en sont encore à leurs balbutiements et ne constituent qu’une petite partie de l’éventail des prestations, empêche la mise en place du Tardoc ou du moins la retarde, est inacceptable et constitue une manœuvre dilatoire manifeste des opposants.
Le Conseil fédéral prétend que ses recommandations n’ont pas été prises en considération.
HZ: Il va de soi que toutes les recommandations ont été étudiées de manière très détaillée. Certaines ont été retenues, d’autres rejetées. Par exemple, la proposition de réduire de 10 % le salaire des médecins sur lequel repose les calculs tarifaires, qui n’a jamais été adapté depuis 1995, tout en prolongeant par ailleurs de deux heures la durée quotidienne de travail prise en compte, est tout simplement inacceptable. Le Conseil fédéral le savait très bien. Quel groupe professionnel pourrait accepter de telles propositions ?!
Êtes-vous en colère?
HZ: Je suis consternée et déçue. Une fois encore, le tarif qui, selon la LAMal, doit être respectueux des principes d’objectivité et de l’économie d’entreprise, est utilisé abusivement pour des mesures d’économie. On se demande même si le Conseil fédéral et le législateur ont bien compris la manière dont sont prises en compte les dispositions légales. À nouveau, ce seront principalement les médecins de famille et de l’enfance qui paieront les pots cassés. Manifestement, le monde politique n’a pas conscience des signaux qu’il émet. Les étudiantes et étudiants, de même que les jeunes médecins, observent avec attention ce qui se passe et réfléchiront bien avant de se lancer dans la médecine de famille avec de telles conditions. Les années d’efforts pour encourager la relève des médecins de famille et de l’enfance sont ruinées d’un coup de plume par des intrigues politiques. Oui, cela me stupéfie et me met en colère.
Et maintenant?
HZ: Le Conseil fédéral a sommé les réticents d’enfin s’asseoir à table avec les partenaires tarifaires. Si tout le monde, y compris le Conseil fédéral, tient soi-disant tellement à un tarif correct et à l’autonomie tarifaire telle que prescrite d’ailleurs dans la LAMal, les choses devraient désormais avancer rapidement. Dans le cas contraire, le Tardoc sera depuis longtemps obsolète au moment de sa mise en œuvre. Le Tardoc peut être entretenu et adapté régulièrement, tout est prévu à cet effet. Il doit rester aux mains des partenaires tarifaires. Rien ne permettra de se passer du Tardoc. Maintenant, nous allons nous réunir avec tous ceux qui le souhaitent et rechercher des solutions dans le cadre d’une démarche constructive. Si le Conseil fédéral a d’autres intentions, qu’il les annonce sans attendre et en assume la responsabilité politique. Tout le reste serait simplement malhonnête, tout comme les arguments déloyaux contre le Tardoc.
Vous savez, j’aime mon métier, et je l’ai choisi parce que, lorsque j’étais jeune, j’ai appris l’importance du recours à l’aide médicale. J’aimerais pouvoir m’occuper de mes patientes et de mes patients autant que nécessaire, au mieux pour eux, et de manière à répondre à leurs besoins. Mais mon engagement dépasse le cadre du simple exercice de la profession. J’aimerais faciliter les choses pour la relève. Et pour cela, je dois aussi m’engager en faveur de bonnes conditions de base et donc d’un tarif correct.
Quel message souhaitez-vous adresser au conseiller fédéral Alain Berset?
J’aimerais lui rappeler que le meilleur système de santé du monde ne s’est pas fait en un jour, et qu’il est étroitement lié à la confiance et à la volonté des partenaires tarifaires de prendre leurs responsabilités. C’est un aspect qu’il s’agit de faire perdurer. Dans le cas contraire, il y aura de moins en moins de médecins de famille et de l’enfance et la médecine de famille sera mise en danger.
Le conseiller fédéral est en train de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il risque ainsi un déclin effréné et la destruction des soins de premiers recours proches des patients. La population veut une médecine de base solide ! Et pour cela, il faut un tarif conforme aux exigences actuelles. Et ce tarif doit être géré par les partenaires tarifaires ! Il faut le Tardoc. Tout de suite.