Pilotage des coûts dans la LAMal
Apprendre des erreurs d’autrui
Avec la mise en place d’un « pilotage des coûts », la Suisse ferait un pas décisif vers un budget global pour le secteur de la santé. Elle commettrait ainsi l’erreur que la nouvelle coalition en Allemagne a décidé de corriger ces derniers jours. Le Conseil des Etats peut apprendre des erreurs de notre voisin et rejeter l’article 47c de la LAMal.
En Allemagne, la nouvelle coalition fait en ce moment-même beaucoup parler d'elle parmi les médecins de famille. La raison est la déclaration d'intention des partenaires de la coalition de revenir sur la budgétisation globale dans les soins médicaux de base. Le message est bref : « Nous allons supprimer la budgétisation des honoraires médicaux dans le domaine de la médecine de famille ».[i] Manifestement, les conséquences négatives de cette procédure sur la prise en charge des patients et patientes, ainsi que sur le système de santé pesaient toujours plus lourd.
Donc, précisément au moment où l’Allemagne envisage de renoncer aux plafonds pour les prestations médicales, le Conseil fédéral et le Parlement mettent tout en œuvre pour pouvoir introduire un système de ce type en Suisse. La direction générale à cet effet pourrait déjà être indiquée dans la session d’hiver actuelle. Si l’attention se porte sur l’initiative « Un frein aux coûts de la santé » et les objectifs de maîtrise des coûts (contre-projet indirect) que le Conseil fédéral vient de transférer au Parlement, une mesure du premier volet de mesures visant à réduire les coûts ne devrait pas tarder à être adoptée par les Chambres fédérales : il s’agit du « pilotage des coûts ». Concrètement : un nouvel article 47c dans la LAMal doit exiger des partenaires tarifaires qu’ils fixent un plafond de coûts « justifiés » pour une année calendaire, dans le sens des objectifs de maîtrise des coûts du Conseil fédéral. Si un budget global ainsi défini ne peut pas être respecté, et qu’il est donc dépassé de manière « injustifiée », il faut prévoir des rectifications. Ceci correspond en réalité à des sanctions financières dans le cadre d’interventions tarifaires.
Cette épée de Damoclès que sont des menaces de réductions tarifaires développe, sous le masque de « pilotage des coûts », les mêmes effets que des objectifs budgétaires fixes : dans les faits, les médecins sont contraints de refuser des prestations à leurs patientes et patients afin d’éviter des sanctions financières ».[ii]
L’expérience allemande a démontré depuis longtemps que le plafonnement des prestations par un budget ne constitue pas une mesure adéquate contre l’augmentation des coûts. Au contraire. Premièrement, ce n'est pas du tout efficace, les coûts étant déplacés et non réduits. Deuxièmement, cette intervention grave entraîne inévitablement des dommages collatéraux dans le système. Ce seraient les patientes et les patients qui en subiraient les conséquences. Ceci ressort également de l’expérience allemande. Dans le même temps, le Conseil fédéral et le Parlement remettraient ainsi en jeu tous les petits progrès réalisés dans la lutte contre le manque de médecins de famille au cours des dernières années, grâce à d’importants efforts de toutes les parties. Ce signal serait catastrophique.
Que le corps médical est tout à fait conscient de sa responsabilité dans le domaine tarifaire ressort d’ailleurs du fait qu’en collaboration avec Curafutura et la CTM, il a présenté au Conseil fédéral le « Tardoc », un tarif des prestations individuelles totalement révisé qui prévoit aussi des mécanismes de correction contraignants. Que le corps médical soit une partie du problème plutôt que de la solution est une histoire qui ne deviendra pas plus vraie à force d’être répétée.
Au vu du changement d’orientation en Allemagne et de la volonté de réforme des partenaires tarifaires, ce serait un non-sens politique si le Conseil des Etats décidait maintenant d’un contrôle des coûts. Il reste à espérer que, tout comme le Conseil national, il attendra au moins jusqu’à ce que les Chambres aient achevé le débat sur les projets de l’initiative « Un frein aux coûts de la santé » et les « objectifs de maîtrise des coûts ». Et que le Conseil fédéral et le Parlement, au vu de l’expérience de notre voisin allemand, apprennent des erreurs que celui-ci est en passe de corriger.
[i] https://www.aerztezeitung.de/Politik/Hausaerzten-winkt-Ende-der-Budgetierung-424628.html (30.11.2021)
[ii] https://bullmed.ch/article/doi/saez.2021.20365 (30.11.2021)